dimanche 4 septembre 2011

Un mystère à résoudre: l'origine du nom de Latresne

L'origine du nom de la commune de Latresne (33) a toujours été un mystère et le reste encore aujourd'hui. Longtemps, l'explication avancée faisait état de pêcheurs utilisant la technique de pêche à la traîne dans cette zone depuis des temps immémoriaux.

Wikipédia décrit ainsi cette technique:
" La pêche à la traîne est une technique de pêche pratiquée aussi bien en mer qu'en eau douce. Elle consiste à laisser traîner le leurre ou le vif derrière un bateau en mouvement, à une vitesse lente ou moyenne, dans les alentours de 3 à 5 nœuds, et jusqu'à 10 nœuds."
Je ne suis pas spécialiste de cette pêche, mais il me semble tout de même que son origine ne peut remonter bien loin, en tout cas pas aussi loin qu'il le faudrait pour prétendre avoir donné son nom à un territoire. D'autre part, comme on le verra plus loin, les autres lieux vraisemblablement dérivés de la même racine "la trene" se prêtent mal à cette théorie.

Cependant les spécialistes de la toponymie (A. Dauzat, E. Nègre ou J. Astor) n'avancent aucune explication satisfaisante dans leur ouvrages pour la commune de Latresne.

L'excellent Dictionnaire Toponymique des Communes de Gironde de Bénédicte Boyrie-Fénié essaye tout de même de la faire la synthèse des différents indices et conclut:


" Latresne se trouve au débouché d'un petit affluent de la rive droite de la Garonne, la Pimpine, dont le nom appartient vraisemblablement à la strate dialectale. Aucune occurrence médiévale ne fait état du -s- antéconsonantique qui apparaît dans la forme administrative actuelle; on peut donc en déduire qu'il n'est pas étymologique. 
Tréna peut représenter une forme féminine de tren "bord, rivage", attesté encore dans le secteur du bassin d'Arcachon.
Si le toponyme est médiéval, l'archéologie a permis de révéler l'existence, sur le territoire de la commune, d'au moins deux établissements antiques."

La Tresne indiquerait donc une notion de rivage...

Le site de la mairie de Latresne, sans doute inspiré par les même sources, va dans le même sens:

" Comme beaucoup de communes des bords de la Garonne, l'histoire de Latresne et de ses habitants se confond avec celle du fleuve. Elle tiendrait d'ailleurs son nom primitif, d'une interprétation étymologique de "trèna" (dialecte occitan), qui dans sa forme féminine pourrait signifier "bord" ou "rivage". D'autres approches moins méthodiques y voient la marque de la fameuse technique de pêche..Difficile de se faire une idée formelle.
Sa prononciation actuelle, consolidée dès le moyen-âge (La Trene), sera francisée par la suite avec son "s" si caractéristique et parfois "déroutant".
Quoi qu'il en soit, les premières attestations écrites historiques qui mentionnent une toponymie qui peut s'apparenter au nom de Latresne sont celles de l'archevêché de Bordeaux en (Arnaldus de la Trena - 1235) ou des cartulaires  de l'Abbaye de la Sauve Majeure (1246), haut lieu de la chrétienté en pays créonnais.
Mais les premières traces d'occupation de la commune (dans ses limites actuelles) témoignent d'une occupation bien antérieure, probablement de l'époque romaine, comme en attestent ses 2 vestiges antiques."

D'après les différentes observations que j'ai pu effectuer notamment sur le parcellaire cadastral, il est très probable, comme à bien d'autres endroits le long de la Garonne, qu'à une certaine époque, le fleuve venait lécher directement le bas des coteaux.

Après examen morphologique du parcellaire, j'ai également trouvé des traces fossiles d'anciennes îles au milieu des paluds, ce qui laisse penser que la zone du Castéra devait être directement en bordure de Garonne et que de ce fait, la Pimpine devait se jeter dans le fleuve au même endroit, créant ainsi une zone propice au commerce par les voies navigables.

Ainsi la notion de bord ou de rivage devait être beaucoup plus évidente à cette époque que la situation topographique actuelle ne le laisse imaginer.

Mais à mon avis, le terme "trene" ou "trena" doit désigner certe une notion en rapport avec l'eau, mais un concept plus précis, plus spécifique, sinon ce terme et ses dérivés se rencontreraient beaucoup plus souvent, au moins en zone Gasconne.

Or, il n'y a pas beaucoup d’occurrence de "La Trene" et ses dérivés.

Le château de La Treyne

L'autre lieu le plus connu dont le nom porte sans doute la même origine étymologique et le château de La Treyne, sur la commune de Lacave (Lot).


Le château de La Treyne

Il est ici évident que l'implantation de ce lieu et l'origine de son toponyme est fortement lié à la présence de la rivière Dordogne.

J'ai contacté le château de La Treyne pour savoir si ils savaient d'où venait le toponyme "La Treyne" et ils m'ont aimablement répondu:


"Quand nous avons fait des recherches dans le temps, nous avons trouvé à plusieurs reprises que le mot venait de "pêcher à la traîne". Mais cela n'est pas sûr à 100%"

Pas plus d'information donc, et cela est bien dommage, car l'implantation du château de La Treyne, assez spectaculaire, aurait du marquer les esprits et laisser des indices à travers le temps pour tenter de donner une explication au toponyme.

Sur le site officiel du château, on peut lire:
La construction du fort de la Treyne, attestée en 1342, est due vraisemblablement à Guillaume et Hughes de Roffilhac.
Le 27 Janvier 1356, sur le pont d’Avignon, Noble Guillaume de Roffilhac rendait hommage, tête nue, à genoux et mains jointes à " Magnifique homme Messire Guillaume de Beaufort, chevalier, vicomte de Turenne, pour le château ou fort bâti ou à bâtir au lieu de la Treyne, sur le bord de la Dordogne "."
Latreyne et autres lieux en France

J'ai ensuite cherché à trouver d'autres lieux en France dérivés de "la trene" ou "la trena" grâce aux outils proposés sur Geoportail.fr

J'ai notamment trouvé un lieu-dit "Latreyne" sur la commune de Labarthe-Bleys (81). Son contexte topographique est étonnamment identique aux autres lieux étudiés, et plus particulièrement au château de La Treyne: un lieu élevé et habité, dominant une rivière (ici le Cérou).



D'autres lieux sans doute dérivés aussi de "la trene" présentent souvent les mêmes dispositions: un lieu habité (ou anciennement habité), dominant une rivière.

Une origine celtique ?

Si les premières apparitions de Latresne dans les textes ("La Trene" en 1235, "Latrena" en 1246, "captalis de Trena" en 1273, etc.) sont sous formes latines et occitanes, force est de constater qu'il n'y a pas vraiment de traduction satisfaisante, malgré mes longues recherches dans les dictionnaires occitans.

Et si "La Trene" était d'origine celtique ? Partant de cette idée, j'ai commencé à consulter des dictionnaires celtiques et je suis vite tombé sur la définition suivante:
Tren : courant d'eau, rivière, ruisseau, torrent 

La racine celtique "tren" désignerait donc tout simplement un ruisseau, une rivière. Le Treneym, un des ruisseaux de Blasimon (33), affluent de la Gamage, semble d'ailleurs être une excellente illustration de cette origine étymologique.

il est vrai que le seul point commun récurrent que j'ai pu constaté jusqu'à maintenant dans les différents lieux étudié était la présence à proximité immédiate d'une rivière.


Conclusion

Le mystère demeure et je ne prétends pas avoir trouvé la solution de l'origine étymologique de la commune de "Latresne", mais il me semble à la vue de tout ces indices, que nous nous rapprochons d'une explication plus satisfaisante.

Si Latresne découle bien du mot "tren" d'origine celtique, alors le toponyme désigne la rivière, ici surement plus la Pimpine que la Garonne, et par extension "le lieu habité sur la rivière", voir "le castrum sur la rivière".

A Latresne, la villa gallo-romaine et le premier château (castera) étaient construit sur ce qui était vraisemblablement le confluent entre la Garonne et la Pimpine. Une telle implantation en bordure de rivière devait être assez singulière pour marquer les esprits et influencer l'appellation du lieu à travers le temps.